Geppetto s'était enfermé dans son laboratoire – ou sa maison vu que ça revenait exactement au même – depuis plusieurs jours et ne voulait voir personne. Ses créations l'avaient rapidement compris, et éviter d'être dans la même pièce que lui. Ce n'était pas très difficile en même temps. Depuis la disparition de Pinocchio, il avait une certaine tendance à trouver que tout était imparfait. Même Gorm, d'habitude immunisé  contre les excès de colère de son maître, se faisait de temps en temps crier dessus quand il parlait trop. Et pourtant, c'est le seul qui dans ce moment de crise trouvait le courage de rester avec mon maître. Peut-être que dans le fond, ils étaient vraiment inséparables malgré la réelle différence dans leurs natures.

Il était fatigué quand il entendit quelqu'un tambourinait comme un forcené contre sa porte, fermée à clef comme il en avait depuis longtemps pris l'habitude. Il était fatigué et là, encore plus qu'en temps normal, il n'avait aucune envie d'aller voir s'acharner à ce point et criait. Non supplier. Ce simple fait aurait pu le décider s'il n'avait pas passé quasiment deux jours sans dormir. Oh, il s'était rapidement endormi sur son bureau, mais les cauchemars qu'il faisait depuis la disparition de sa dernière création l'avaient rapidement réveillé. Il devait la retrouver. Et contrairement à tous les autres bons à rien, il avait réussi. Alors maintenant, il voulait qu'on le laisse tranquille. Il voulait dormir, se préparer et partir à la recherche de Pinocchio. Seul. Arrivé là-bas il forcerait ces kidnappeurs à lui rendre sa chose.

Encore un coup. Cet enquiquineur ne partirait donc jamais. Il hésitait entre ouvrir la porte pour l'envoyer balader ou ne rien faire et aller se coucher après s'être bouché les oreilles. Là, il n'était même plus d'humeur pour jouer avec les personnes qui osaient s'approcher de sa maison. Bien sûr, c'était sans compter Gorm qui avait décidé que son très cher maître devait arrêter de broyer du noir.

« Allez Gep, ouvre-lui, ouvre-lui. Ça va être marrant, on va bien rigoler. Et puis, il peut être utile. »

Foutue création qui allait décidément trop le saouler s'il ne faisait pas l'effort d'aller voir qui s'acharner contre sa porte. Seulement voilà, il ne pouvait rien faire contre la chose en tissu bleue, il était trop proche pour ça, et l'idée de voir qui tenait tant que ça à le voir était tentant. Il se dirigea donc vers la porte d'un pas lent, Gorm sur son épaule, pressé de pouvoir assister à la suite des événements. Il ne fallait pas énerver Geppetto quand il était dans un état de fatigue aussi avancé que ça. D'accord, il ne fallait pas l'énerver tout court, mais là, c'était tout de suite pire. Arrivé devant la porte, il prit le temps de la déverrouiller. La personne qui était dehors allait regretté d'être venu, ça c'est sûr.

« Eh Gep, c'est une fille. Qu'est-ce qu'elle fait là ? »

Mais qu'est-ce qu'il en savait lui ? Cette fille – qui ressemblait d'ailleurs plutôt à un homme – ne semblait pas être arrivé ici par hasard. Sinon, il ne serait pas resté. Sa maison était assez connu pour savoir qu'il ne valait mieux pas l'embêter. Alors pourquoi ? Non décidément, ça avait réussi à l'intriguer beaucoup plus qu'il voulait bien se l'avouer. Il décida alors de rester calme – ou du moins de ne pas s'en prendre violemment à la personne en face de lui. Il aurait le temps plus tard pour ça. Il prit alors sa voie un peu mielleuse, celle qui fait peur aux gens quand ils les abordent dans la rue.

« Alors comme ça tu veux me parler ? »

Un sourire presque un peu trop lubrique se dessina sur ses lèvres de l'inventeur. Gorm avait raison, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas eu de la visite. Plus personne ne perdait en chemin ces temps-ci. C'était presque triste. Mais en même temps, il ne cherchait pas non plus à en trouver. Il avait d'autres préoccupations en tête.

« Allez, rentre. On sera mieux à l'intérieur. »

Il entra, ne regardant pas si son invité improvisé le suivait. La maison était en bordel et ses créations se cachaient suite à l'arrivée de cet inconnu. Ils n'avaient pas forcément peur de lui, mais plus de leur maître.

Geppetto avait fait sa bonne action du mois, voire de l'année, en faisant entrer cet homme chez lui, il en était persuadé. En plus, ce n'était pas comme s'il était normal. Déjà que physiquement, il avait réussi à douter de son identité. Lui, douter. Franchement, c'était une première, il fallait l'avouer. Et puis, c'était quoi cette confirmation bizarre qu'il était un homme. Il avait peut-être hésité, mais il ne fallait pas abuser. D'ailleurs, ça ressemblait un peu trop pour le créateur à une invitation à aller vérifier. Le petit rire de Grom sur son épaule lui prouvait qu'il pensait exactement à la même chose.

Sauf que dans cette histoire, il en oublierait presque le plus important, c'est-à-dire la raison de sa présence. Dans le fond, il avait lui-même du mal à croire que la personne devant lui avait parcouru une bonne distance pour le voir lui. Encore plus bizarre, pour lui parler. Quelle situation étonnante qu'il aurait pu trouver très intéressante s'il n'avait pas quelque chose de plus préoccupant en tête, autrement dit, retrouver Pinocchio.

Le sourire malsain qui était apparu quand il avait vu qui cognait sans relâche à sa porte n'avait toujours pas quitté sa figure. Il ne le quitterait sûrement jamais. C'est bien connu que la folie ressort en présence d'une autre personne et rarement dans la solitude. Même s'il n'était jamais seul, ça empirait.

« Dis Gep, il veut quoi ce garçon bizarre ? »

Bonne question. Grom avait vraiment un minimum de sens logique dans le fond. Même lui avait du mal à comprendre pourquoi. Peut-être que ça avait un rapport avec sa bien-aimée perfection. Si ça se trouve, les kidnappeurs avaient compris qu'il avait réussi à le localiser et voulait le menacer. Sauf qu'il n'avait rien d'un criminel, même s'il est préférable de ne pas se fier aux apparences.

Il l'écouta jusqu'à la fin. C'était beaucoup trop louche, il fallait l'avouer. Comment pouvait-il savoir qu'il avait les moyens de localiser cet endroit. Heureusement, il ne savait pas que c'était déjà fait. Là, Geppetto se serait sûrement énervé, ce qui est quand même une chose à éviter vu comment il est sur les nerfs depuis quelque temps. Grom rigola encore. Quelle cruche ce garçon. Il n'avait vraiment pas peur, il devait beaucoup tenir à la personne qui lui avait été enlevé. Manque de chance, le créateur n'en a rien à faire et ne connait pas le sens du mot compassion.

« Et comment tu t'es dit que je pourrais localiser cet endroit ? »
« Gep, tu crois que d'autres gens vont venir ? »
« Ils n'ont pas intérêt, ne sois pas si heureux Grom. Et toi, écoutes moi bien. Ce qu'on m'a volé n'a pas de prix. Que ton proche meurt ne me regarde pas. »

Payer pour avoir des informations. Le sourire de Geppetto qui avait malgré tout un peu diminué s'agrandit de nouveau. Finalement, il n'était pas si bête que ça ce petit. Mais là encore, il était inconscient de lui dire des choses du genre. Il semblait oublier à qui il était en train de parler, ou alors on ne l'avait pas mis au courant ce qu'il risquait à venir ici.

« Dans ce cas, ça peut s'arranger. Et que me proposes-tu ? Et puis, comment tu t'appelles d'ailleurs. »

Il se dirigea d'un pas rapide vers son bureau à la recherche du papier sur lequel il avait travaillé tard dans la nuit.

Quel garçon bizarre avec ses airs trop marqués de filles. Geppetto avait sérieusement du mal à se dire qu'il était le seul à avoir du mal à prendre au sérieux cet homme. Non, ça devait être le cas de tout le monde, il n'y avait pas d'autres possibilités. Ces longs cheveux bleus. Qui peut le considérer comme quelqu'un d'important qu'il faut écouter avec eux. Le petit rire de Gorm sur son épaule lui montrait que sa création pensait sûrement à une chose similaire. Comme quoi, les grands esprits fous finissent forcément par cohabiter de la façon la plus proche qu'il soit.

Et quel garçon insolent. C'était simple, le créateur ne supportait pas la façon qu'il avait de s'adresser à lui. Un peu de respect pour les génies, ce n'était pas demander à ce qu'on lui ramène la tête de la Reine de Cœur sur un plateau d'or. Bien sûr, tout ça c'était sans parler de la mauvaise nouvelle qu'il venait de lui annoncer. Comment ça il avait osé parler de lui et de sa magnifique découverte dans le journal totalement inutile du royaume. Alors là, non. Il refusait qu'une telle chose arrive. Et si des gens se décidaient vraiment à venir l'embêter. Quelle horreur. Des visiteurs. Il avait beau apprécié aller en ville pour voir et affoler les passants, la différence était qu'il choisissait à quel moment il se mêlait – même de loin – au monde.

Le prince le laisser demeurer ici ? Quelle idiotie. Ce n'est pas comme si Geppetto en avait quelque chose à faire de ce que Beast le laissait faire. Et puis, il imaginait mal le prince écoutait pendant des heures ses sujets se plaindre de lui. Surtout qu'il ne gênait personne vu le temps qu'il passait enfermé ici. Mais bon, laissons ce petit être androgyne rêvait et penser ce qu'il voulait. Geppetto était libre. Et Beast enfermé. Comment pouvait-il croire qu'à ce moment précis il avait la moindre autorité sur le créateur. C'était vraiment mal le connaître, mais tant pis, il ferait avec. De toute façon, il n'avait aucune envie de s'éterniser ici tant que cette histoire ne serait pas régler. Déjà parce que si ce Belle est drôle avec ses grandes paroles vides de sens, il n'était pas sûr que c'était le cas de toute la population.

Et il devait retrouver Pinocchio.

« Donc Belle, c'est ça ? Belle. Vous croyez vraiment que votre petit jeu de force va marcher avec moi ? Vous devez savoir ce que disent les villageois. On me traite de fou. Vous le pensez aussi, ça se voit. Alors maintenant, voyez un minimum réaliste. Je suis un génie. Et les génies n'en ont rien à faire d'avoir un toit au-essus de leur tête. Ce n'est pas ça qui les amènera à créer la perfection. »

Sur son épaule, Gorm riait, fier des paroles de son maître qui avait un sourire capable de faire peur à certains hommes réputés pour leur courage.

« Mais vous avez de la chance. Nous allons vous accompagner dans votre futile recherche du prince, n'est-ce pas Gorm ? »
« Pour de vrai Gepp ? On va vraiment aller chercher Pino ? »
« Mais oui, notre pantin sera bientôt de retour. – Il reporta son attention à Belle. – N'allez pas croire que c'est pour les raisons futiles que vous m'avez données. On veut juste éviter la foule de paysans sans cervelles. Rien d'autre. Vous avez de la chance par contre. J'ai fini de travailler sur la localisation dans la nuit. J'aurais été obligé de vous demander de revenir. Quel dommage. » 

Il tendit le bout de papier à Belle sur lequel se trouvait l'emplacement marqué d'une grosse croie rouge.

Obligé de quitter son habitation. Si on lui avait dit une chose pareille il y a quelques temps, Geppetto se serait contenté de se moquer méchamment de la personne qui avait osé prétendre une chose pareille. Pas qu'il soit asocial au point de rester enfermé chez lui toute sa vie, loin de là, mais partir loin, vraiment loin – c'est-à-dire plus loin que les deux trois villes où il se rendait quand il s'ennuyait vraiment – il n'aurait jamais pu imaginer une pareille aventure. Et pourtant, c'est un génie, il aurait dû se douter de quelque chose. Ça paraissait logique qu'on veuille lui enlever Pinocchio. Mais quand même, c'était loin. Quel idiot s’enfuirait de ce côté de toute façon. Quelle horreur. Surtout que maintenant, il allait devoir faire le chemin avec ce Belle qui s'était mis à leur avouer qu'il avait menti. Comme s''il ne s'en était pas rendu compte. Même le plus idiot des boulangers aurait découvert la vérité, alors comment avait-il espéré le berner.

« Oui, tu es un très mauvais menteur. »
« Gorm, sois un peu poli avec notre... Protecteur ? J'espère que tu es vraiment meilleur pour tirer à l'arc que pour le reste, sinon, je ne donne pas cher de ton futur. »
« Et c'est moi qui suis impoli ?

Oh, il ne lui plaisait pas, c'était sûr. Sa dernière phrase qui ressemblait sans qu'on sache réellement pourquoi à une menace n'était pas là pour arranger les choses. Mais il avait l'habitude. Il ne plaisait à personne, sauf à ces créations. Sauf qu'il aimait cette vie, et avoir de la compagnie humaine pendant un certain temps allait vraiment lui faire bizarre, même si cette compagnie passerait sûrement la traversée à le regarder comme un fou prêt à lui sauter dessus pour lui faire toutes les abominations du monde. Ah, la méfiance est un drôle de sentiment. C'était quand même rare qu'on lui disait qu'il était plus quelque chose que fou. Ça arrivait même à le réjouir, alors que l’appellation de pervers aurait sûrement dû avoir l'effet contraire.

« Que c'est gentil de ta part de me complimenter ! – Et s'il n'y en avait pas réellement, c'était loin d'être son problème. – Un cheval, oui. Gorm adore ces drôles de choses, n'est-ce pas ? Quand partons-nous ? »

Il se retourna pour attraper plusieurs choses dans son bureau et les fourrer rapidement dans son sac qui traînait. Il regarda en direction du couloir ces créations qui se cachaient. Les pauvres, elles risquaient d'être perdues pendant son absence, mais elle allait être heureuse de voir Pinocchio de retour. Et ils n'auront qu'à faire le ménage pour ne pas s'ennuyer. C'est vrai que cet endroit mériterait un peu plus d'ordres, et il était sûr qu'ils allaient adorer s'occuper de ça. C'était leur maison dans le fond. Il s'approcha d'eux, laissant Gorm sur son bureau regardait bizarrement Belle.

« Je pars, occupez-vous de la maison et faites bien fuir tous les étrangers qui approchent, je compte sur vous. »
« Et faites attention aux abeilles. »
« Merci Gorm, c'était très instructif. »

Il récupéra son sac et y ajouta quelques bouts de bois qui traînaient dans le coin, au cas où.